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Florence Bouvry
Voyager est fatal aux préjugés, à l'intolérance et à l'étroitesse d'esprit- Mark Twain.
Cheminer le Monde-Penser l'actuel
Fabio la Roca
Claude Lévi-Strauss écrit dans Tristes Tropiques, 1955 :" Pour l’ethnologue, le voyage n'est pas un but : c'est un moyen, un moyen indispensable et ce qui compte, ce n'est pas du tout le côté touristique mais ce que nous rapportons de connaissances et d'informations ».
L'expérience du voyage est un vasistas sur le monde, une anthropologie du monde, un "Usage du monde" pour reprendre le titre de N. Bouvier, 1963. L'expérience du voyage c'est éprouver le rapport entre recueils géographiques-atlas- et géographie, entre géographie et littérature; c'est aussi la place de l'expression du moi dans le récit du voyage.
Pour Philippe Descola, la circulation des images, des objets nous fait croire que l’on partage un système de valeur universel. En dehors du désir de se procurer des biens sur un marché et d’avoir les ressources pour le faire, chacun des présents de la diversité humaine varie. Les modes de vie, les aspirations, les valeurs continuent à différer profondément. Notre présent, c’est-à-dire notre capacité à nous projeter dans l’avenir en faisant référence à un passé, diffère selon les lieux et les communautés. Le seul présent collectif, c’est celui de l’état de la planète, mais même celui-là n’a pas la même force, la même pertinence et la même urgence pour tout le monde.
Avoir la fonction d’auteur et prendre pour objet de réflexion le monde social, c’est avoir pour rôle de décrire, donner à voir et méditer sur notre contemporain, notre rapport au monde.
Réfléchir le présent c’est penser aux manières dont nous et les autres habitons- cohabitons le réel, l'actuel.
En octobre 2020, pour échapper aux obligations du Covid une escapade dans les Pouilles italiennes au moment où personne n’osait plus voyager. Se sentir libre en dépassant nos frontières françaises.
Photographies de l'auteur.
31/05/2021
Une échappée de 15 jours accomplie entre Noël 2020 et le commencement de l'année 2021. S'échapper à Ilha da Madeira pour éprouver la liberté entravée par le-la covid. Période d'hiver peu propice pour explorer ce caillou surgi de l'océan Atlantique à l'époque de l’ère tertiaire, lors d'éruptions volcaniques.
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Photographies de l'auteur
En ces temps "maudits" prendre l'avion est assez éprouvant. Petit avion bondé (rentabilité oblige). Escale de 3/4 heures à Porto coincés dans l'avion. Nourriture payante et très mauvaise. Un bataillon d'infirmières nous attendait à l'arrivée pour vérifier et ou réaliser un test PCR. Munie du test PCR réalisé en France il m'aura fallu pourtant deux heures pour sortir de l'aéroport et récupérer la voiture de location.Au moins à Madère la sécurité sanitaire ne feignait pas par rapport au Covid.
C'est là que tout commence.
Contrairement à mes autres voyages celui-ci n'était pas préparé. Je n'avais aucune idée du relief de ce caillou. Destination choisie à « la va vite » car un des rares pays ouverts aux européens en ces temps de pandémie mondiale. J’ai appuyé bouton Madère pour reprendre ma liberté .
La Prise en main de la conduite à l’assaut de ce rocher aux routes verticales, aux virages en épingle à cheveux … fut une épreuve angoissante voire pétrifiante. Et pour augmenter l’angoisse les routes sont trop souvent étroites pour deux voitures et pour aggraver mes affres la route borde trop fréquemment la falaise à pic sans garde fou. En regard de cette conduite vertigineuse, les sensations du manège grand huit sont douces… J’ai mis plus d’une heure pour effectuer les 25 kilomètres pour rejoindre la chambre d’hôte réservée.
Madère venait de subir une tempête qui comme une balle dans un jeu de quilles avait entrainé la chute des arbres. Des canalisations étaient rompues et l’eau dégoulinait, ruisselant sur ces routes au dénivelé de plus de 30%.
Fourbue après un long trajet en métro avec sac à dos, et après le vol Air France low-cost, je découvrais en cette soirée d’hiver cette côte nord, âpre due en partie à la roche noire volcanique, abrupte et inabordable.
La maison d’Hôte, architecture en lave noire est située sur un chemin en cul de sac. Je vais y rester cinq jours. J'irais ensuite dans une chambre d'hôte à ARCO DE CALHETA adossée à la montagne à 800m d'altitude en cul de sac et je terminerai par Funchal dans un hôtel remarquablement bien situé dans les vieux quartiers.Il faut absolument séjourner à Funchal ce qui permet de rayonner dans toute l'île par des chemins différents.
Cette première chambre est située face à l’océan, vue superbe, repas très conviviaux et délicieux réalisés par une hôtesse parlant un français impeccable.
Le lendemain et les jours suivants je vais découvrir ce caillou volcanique posé sur l’océan tel un sapin comme une ligne verticale, aux villages accrochés comme des guirlandes sur ces parois rigides.
Rappelez vous la rue la plus « pentue » de San Francisco ( la Lombard street avec 31% de dénivelé). Alors vous pouvez visualiser les routes taillées dans ce roc, des lacets en pentes et des montées vertigineuses: l’horreur pour ceux qui comme moi ont le vertige et la hantise de caler dans ces côtes et d’être obligés de re-démarrer « à la verticale » avec le frein à main qui ne sert d’ailleurs plus à rien. C’est à se tordre les boyaux certes excellent pour les abdominaux…
J’ai découvert l’ensemble de Madère au rythme d’un escargot qui a l’avantage sur moi de coller au sol alors que je roulais sur ces dénivelés au bord de précipices où il est très difficile voire impossible de se garer pour prendre une photo voire pour un arrêt pipi. Hors de question de s’arrêter au stop en ayant les roues arrière pour ainsi dans le vide car alors comment repartir… Heureusement le-la Covid a fait fuir les touristes et les routes étaient désertes-"Circulez, ya rien à voir", passez sans vous arrêter au risque de…-
Évidemment on n’a rien sans rien, certes la peur au ventre mais la côte nord la plus escarpée-montueuse- de l’île offre des paysages grandioses, Une côte vertigineuse, hostile, aux falaises de 400-500-600 mètres à l’aplomb de la route.
Ce rocher est bétonné au maximum et quand c’est impossible les hommes ont créé des téléphériques pour récupérer aux pieds des falaises la moindre parcelle de terre arable. La densité de Madère (267 au km2) représente plus du double de la France (118 au km2)et sa superficie de 750 km2 est 858 fois plus petite que celle de la France -643801 km2-
Ce rocher volcanique exploité immodérément est grafigné, lacéré, éraflé par ces méandres routières taillées à main d’ouvriers/bagnards en rappel, suspendus dans un panier aux parois... Ces mêmes hommes ont créé les levadas-canaux d’irrigation- dès le 16ème siècle jusque dans les années 1940 qui serpentent tout autour du rocher pour récupérer l’eau afin d’irriguer les cultures. Travail titanesque. Ces canaux sont doublés d’un chemin-parapet pour les entretenir et désormais deviennent les parcours privilégiés des randonneurs, véritable manne touristique pour l’île.
En ce 21ème siècle avec les nouvelles technologies, le cœur de ce piton est perforé, transpercé par un réseau de tunnels tel un circuit Coronaire. Assurément on y gagne le confort rapide des autoroutes mais adieu au vertige des paysages à couper le souffle.
Située entre 300 et 1300m d'altitude, la forêt laurifère de Madère est une réplique des forêts qui recouvraient l'Europe jusqu'à la dernière période de glaciation. On date les premiers arbres à plus de 15 millions d'années ! Cette zone est la plus vaste forêt de laurier du monde. Elle est composée à 90% de forêt primaire.Les hommes depuis le 15ème siècle ont dévasté cette forêt laurifère pour récupérer une terre agricole. Pour compenser cette perte les divers gouvernements ont reboisé avec de l’eucalyptus intrusif. Actuellement, la conscience écologique aidant on replante des plantes endémiques… Les Agapanthes toutes aussi intrusives forment des haies drues tout au long des chemin tout comme les hortensias et la végétation, comme aux Antilles et dans les pays tropicaux humides, s’enfièvre et déploie un certain gigantisme.
Les vallées déclinent du sommet vers la mer encombrées de cubes blancs sans charme aux toits rouges -tuiles mécaniques- qui magnifient pourtant les contrastes des verts et rouges. Les routes bordées de ces villages sans charme qui partent à l’assaut des sommets mènent à des cul de sac. Il est impossible de se balader transversalement, il n’y a pas de chemins comme dans nos campagnes françaises. On monte et on redescend par le même itinéraire.
C’est avant tout un pays de « campagnes » et surtout de montagnes mais tellement bâti que nous en sommes exclus. Marcher des kilomètres sous des couverts de feuillages d’essences différentes sans horizon le long des Levadas n’est pas trop ma « cup of tea »,moi qui aime voir loin. Je me suis trompée de destination.
Quant aux sommets de 1800/1600 mètres d’altitude nimbés le plus souvent de brouillards (surtout en hiver), ils offrent alors une vision d’une mer de nuages blancs comme en avion. j’y reviendrai avec un chauffeur dans une autre vie.
L’océan atlantique entoure ce rocher mais il reste inaccessible sur la plus part des côtes. Il n’y a pas de plage et on est la majorité du temps tenu à distance, hors du paysage, en surplomb à regarder cette côte de falaises déchiquetées du haut de parapets à 400-500-600 mètres d’altitude.
Du Nord est -Ponta de Sao Lourenço au sud - Jardim do Mar- les paysages sont sidérants, prodigieux.
Ponta de Sao Lourenço « les high lands » de Madère, à découverts sur des kilomètres, couverts d’un tapis d’herbes vert, dru avec des fleurs tropicale bordés par l’Atlantique ponctué de rochers volcaniques rouges sang et noirs. L’océan y fracasse sur les rochers son écume comme un geyser. Époustouflant…
De Ponta de Sao Lourenço à Jardim do Mar le petit Saint Tropez de Madère, les paysages sont immensément grandioses. Les falaises sont hautes très hautes et tombent à pic sur cet océan qui brode la côte de son écume blanche en furie.
Les villages
- Seixal avec sa piscine «sur»-naturelle en lave noire rincée par les vagues;
- Achadas da Cruz situé à près de 700 m d’altitude avec son téléphérique de 434 m de dénivelé pour remonter les produits maraichers des paysans;
Ponta do Pargo et son phare posé sur un paysage vertigineux de landes qui bornent le contour des falaises sans « pare-feu ». C’est là où se rejoignent la côte nord et la côte sud.
La côte sud déroule ensuite ses villages de pêcheurs, ses cultures en terrasse essentiellement de bananiers et ou encore des culture de la vigne en pergolas (ou « latada »). Ce sont des conduites en treilles basses (à hauteur d’homme) avec légumes complantés. C’est à dire qu’il y a d’autres cultures en dessous (céréales, potagers, etc.) pour optimiser l’espace au mieux.
Jardim do Mar aux cultures potagères en terrasses où la nature foisonne de palmiers, bougainvilliers, de plantes tropicales et de fleurs exotiques et où les maisons tentent de se faire une place. Il n’y a guère d’intimité dans ce village où l’on passe par le jardin du voisin pour rentrer chez soi comme à Santorin en Grèce.
- La perle de la côte sud à quelques kilomètres de la capitale Funchal: Le belvédère du Cap Girão, situé sur le plus haut promontoire d'Europe, à 580 m d'altitude, offre une vue panoramique, une vue en plongée verticale tel un saut sans parachute sur des petites zones de terres cultivées en contre-bas au pied de la falaise qui créent un parterre-patchwork.
Les petites églises du 16-17ème siècle, bijoux d’architecture, chefs-d'œuvre de la joaillerie manueline portugaise aux intérieurs d’une richesse flamboyante contrastent avec l’architecture des pavillons individuels tous construits sur le même plan dans l’ensemble de l’île.
Funchal, charmante ville reflétant le monde ancien et le présent. Très développée qui remonte de la mer vers la montagne, occupant une vaste cuvette en amphithéâtre face au sud. C’est là qu’il faut résider car nous éprouvons enfin une notion de « vastitude » de par cette cuvette topographique. Plusieurs chemins s’offrent à nous pour circuler. Cette sensation d’impasse éprouvée tout au long du périple s’évanouit enfin.
Au fond jamais un homme n’avait mis les pieds sur ce piton inhospitalier de par ses falaises, peu propice à l’expansion de par sa superficie et sa verticalité, ses aplombs, il aura fallu le 15ème siècle pour que commence l’histoire véritable de Madère avec l’appétence avide des occidentaux à s’emparer du monde.
Actuellement la terre fait cruellement défaut et dès qu’ils le peuvent ils érigent une habitation en terrasse avec un jardin-potager suspendu à flanc de montagne sans aucun garde de corps.La culture des bananes en terrasse jusqu’au sommet reste pour moi une énigme: il faut presque une corde de rappel comme en ascension alpine pour les défricher, les entretenir… Quelle boulimie dévastatrice.